Hommage à un petit neveu de Paul Marie, descendant du frère aîné de ce dernier
René Marie Anatole Jarret de la Mairie
Mort pour la France
Beauséjour
25 septembre 1915.
Réné frémissait d'impatience. Il venait de haranguer ses hommes comme jamais, convaincu que la journée serait décisive pour la victoire. N'avait-il pas un peu fanfaronné même devant un capitaine en prétendant que "rien ne valait un pareil moment" ?
Officier, il devait montrer l'exemple. Cette "Ferme de Beauséjour" laisserait trace dans la mémoire française comme une journée où la guerre contre l'Allemagne serait encore une fois gagnée. Son père, avant lui, avait combattu cet Empire honni; il en avait rapporté un coude brisé par une balle et la Légion d'Honneur. Celle-ci, on la collectionnait dans la famille ! Le grand-père, les grands-oncles ! Et d'autres, tous militaires depuis toujours, fils et petits fils de chevaliers depuis... si longtemps. Lui même portait le prénom d'un aïeul mousquetaire.
Unique garçon de la branche aînée, il se savait porter les espoirs et les traditions de cette vieille famille. Il en était fier. C'est pour cela que ce jour serait un grand jour, car il vaincrait, à la tête de ses hommes, comme jadis son Chouan de grand-oncle à la tête de ses paysans, dont il partageait la vie et les misères.
Ses soeurs s'étaient elles aussi engagées auprès des soldats comme infirmières. Tous avaient laissé tomber leurs études pour venir soutenir la France dans cette épreuve qui finirait bientôt. Il n'en pouvait douter. Et, après, la vie reprendrait son cours normal.
Il tritura son crucifix en priant discrètement. Le jour se levait à peine. Il sentit des papillons voleter dans son ventre mais il n'avait ni le temps de s'angoisser, ni celui d'avoir peur. Ses hommes comptaient sur lui. Il servait sa Patrie.
L'assaut fut donné. Fracas, bombes, tir, fumées, poussières, cris des blessés. Il ne pensait plus, il avançait, mû par une force surhumaine, aux côtés de ses hommes déchaînés. La ligne ennemie se rapprochait et ils allaient la prendre !
...
René fut fauché par un tir dès qu'il posa le pied dans la tranchée allemande. Il fut déclaré "mort à l'ennemi" le jour même. Ses restes furent inaccessibles tant que durèrent les combats. Depuis, ils reposent dans une nécropole , ainsi que ceux de milliers d'autres compagnons d'infortune. Son nom fut inscrit sur un monument aux morts, comme celui d'autres garçons de sa génération, percutée par les soubressauts d'un monde finissant.
...
Contrairement à ce que certains généalogistes peu sérieux et peu scrupuleux prétendirent, il ne fut jamais officier de la Légion d'Honneur; ce fut une de ses soeurs, Madeleine, une femme donc, infirmière major, qui se distingua par son courage, en 1917, qui fut promue à ce grade; elle prénoma son fils aîné, né après ce conflit, comme son frère perdu dans la Grande Guerre.
Et, c'est seulement 102 ans après la mort de René que sera apposé, en regard de son acte de naissance "Mort pour la France", en réponse à une recherche en généalogie d'une lointaine parente.
La Ferme de Beauséjour n'est plus que ruine. Une vieille famille s'est éteinte, comme tant d'autres, emportant avec elles ce qu'il restait de traditions issues de l'Ancien Régime, de la Révolution, du XIXè siècle.
Le monde a changé, certes, inexorablement, emportant avec lui chagrins, deuils, tel un torrent charriant galets, bois morts et déposant sur les berges, ici ou là, ses reliques; comme toujours, depuis la nuit des temps.
Petit texte qui s'appuie sur les sources suivantes:
Fiche matricule n°915, Vannes
Actes de naissance et de décès en mairie de Grez en Bouère, Mayenne
Nécropole Pont-de-Marson, tombe individuelle n° 1262
